À toute personne concernée par la formation doctorale
en mathématiques en France


Péril sur les DEA de mathématiques en France

J'aimerais alerter les mathématiciens français des conséquences désastreuses sur les DEA de mathématiques de la directive ministérielle suivante sur les attributions d'allocations de recherche MENRT (bourses de thèse universitaires).

Le texte qui suit extrait cette directive de la lettre du chef de la mission scientifique universitaire (DR / A3 / YF / EL / N° 02 -105) du 8 mars 2002 destinée aux Présidents d'Universités, Directeurs d'Établissements et Directeurs d'Écoles Doctorales (http://dr.education.fr/Alloc_doc/) :

Le contingent d'allocations attribué par la MSU à chaque école doctorale intègrera les AC et les AMX accueillis par l'ED. Ainsi pourra être contenue l'excessive concentration des normaliens dans certaines ED. Cependant la règle précédente sera adoucie pour encourager toutes les ED à en attirer : il sera procédé à un abattement de l'ordre de 20% sur le nombre des AC et des AMX dans le décompte des allocations. À titre d'exemple, une ED à laquelle l'évaluation attribue un contingent de 10 allocations pourra accueillir 2 AC hors contingent, mais si elle décidait d'en accueillir 5, 3 d'entre elles seraient intégrées dans son contingent.

Autrement dit, cette École Doctorale (ED) perdrait trois allocations MENRT si elle accueillait quatre normaliens venant avec leur AC (allocation couplée réservée aux normaliens qui remplace l'ancienne AMN) et un polytechnicien venant avec son AMX...

En pratique, cette règle ne peut que diminuer le total des allocations (AC, AMX, MENRT) les plus couramment utilisées pour subventionner les thèses de mathématiques. De plus, elle majore ce nombre pour une École Doctorale donnée par le maximum entre 1.2(MENRT) et (AC+AMX).

Les prévisions d'allocations ont déjà diminué à Rennes, Paris Centre, Lyon et Orsay.

L'expérience très récente montre que les universités qui perdent des allocations ne répartissent pas leurs normaliens déjà munis d'AC dans les autres universités. Ces universités essaient plutôt de répartir les bons étudiants universitaires (sans allocations) dans les universités où la pression sur les allocations est moins forte, la pression y monte donc, et ces universités perdent donc des allocations pour les étudiants qu'elles ont formés. C'est le cas de Grenoble.

À cause de la montée de la pression à Grenoble occasionnée par ces transferts et par une baisse de notre dotation, j'ai tenté la même man\oeuvre de répartition de nos bons étudiants sans allocation, et c'est à cette occasion que j'ai découvert le problème.

Je pense que les délais d'application de cette directive de mars 2002 (aux intentions louables, mais aux effets immédiats très pervers) ne sont pas raisonnables. À cette date, les étudiants avaient déjà choisi un responsable de stage et ils avaient déjà commencé un projet de thèse (au moins pour les exemples que je connais qui risquent d'être privés d'allocations). La redispersion souhaitée (qui affecte dans les faits seulement les étudiants non bénéficiaires d'AC et d'AMX) casse alors la dynamique de ces étudiants a priori déjà moins favorisés. Muter (de force) un étudiant à cette période le force de toutes façons à changer de projet de thèse et à redémarrer une thèse avec un directeur qu'il n'a pas choisi et qu'il ne connaît peut-être même pas.

Je ne connais malheureusement pas les chiffres exacts de la diminution du nombre d'allocations MENRT en 25ème section par rapport à l'année dernière en l'état actuel des attributions. J'aimerais aussi connaître la proportion des étudiants munis d'AC ou d'AMX parmi tous les étudiants en thèse munis d'AC, d'AMX ou d'allocations MENRT en 25ème section (i.e. dont le directeur de thèse est en 25ème section) en France. Je pense qu'elle est très supérieure à 20% au moins pour les mathématiques dites pures qui sont à ce titre les plus pénalisées par cette nouvelle directive.

Au total, lors les trois dernières années, l'Institut Fourier de Grenoble a accueilli en thèse 13 étudiants munis d'allocations MENRT et 13 étudiants munis d'AC ou d'AMX. À l'Institut Fourier, la proportion que j'aimerais connaître à l'échelon national est donc de 50%.

Je sais que nos 50% pourraient être noyés dans la proportion globale de 11% pour les Écoles Doctorales dont nous dépendons, grâce aux spécialités où cette proportion d'AC/AMX est moins grande. Ils rendent néanmoins notre position difficile à défendre au sein de ces Écoles. Par exemple, la dotation de l'École Doctorale dont dépend l'Institut Fourier est de 23 allocations MENRT. Le quota d'AC/AMX de l'École Doctorale est donc de 5 et a été atteint par notre Institut à lui tout seul au moins lors d'une des trois dernières années puisque la moyenne sur ces années est supérieure à 4, et nous ne pouvons décemment pas priver les autres composantes de l'École Doctorale d'AC.

La proportion de normaliens et polytechniciens accueillis en thèse à l'Institut Fourier a été obtenue au prix de nombreux efforts pour attirer ces étudiants dans notre formation (encadrements de stages de magistère l'été, cours dans leurs écoles...). Ces efforts pour attirer de bons étudiants volontaires munis d'AC ou d'AMX dans notre formation doctorale de province, et la proportion qui en résulte me paraissent légitimes pour garantir le bon niveau de cette formation et de notre laboratoire. Ils seront bien mal récompensés si ils se soldent en pénalisant les normaliens qui s'inscrivent à notre DEA et nos bons étudiants universitaires.

L'effet immédiat de pertes d'allocations MENRT dans nos DEA de mathématiques serait désastreux
1. pour les étudiants victimes qui ont les capacités et l'ambition légitime de poursuivre leurs études par une thèse dans de bonnes conditions,
2. pour nous qui perdrions les bons étudiants que nous avons recherchés et formés,
3. pour l'avenir de nos DEA où les allocations MENRT constituent la principale ressource d'allocations, et où aucun étudiant universitaire (70% de la fréquentation cette année à l'Institut Fourier) ne voudrait plus s'inscrire en connaissant le niveau des étudiants recalés dans cette distribution d'allocations.

Pour enrayer ce péril qui plane sur nos DEA, il faut suspendre l'application de cette directive et redéployer des allocations pour les victimes des effets pervers des transferts qu'elle a occasionnés.

Je remercie tous les critiques de ma première version (encore) moins documentée de ce texte.

Mes remerciements s'adressent tout particulièrement à Patrick Witomski et à Jean-Marc Deshouillers, mais ne les impliquent en aucun cas dans cette démarche personnelle.

Tous les commentaires sur cette deuxième version seront également bienvenus.


Christine Lescop